13 Août 2000
Lorsque nous
quittons Irbit ce matin là, nous n'arrivons pas à y croire
: Nous, en Sibérie, au guidon de NOTRE side-car ?!! Et pourtant
si... Tous premiers kilomètres de notre grande aventure, nous
dévorons des yeux tout ce qui nous entoure : un petit village
de maisons en bois noirci, les panneaux indicateurs en cyrillique
qu'on a à peine le temps de déchiffrer avant de les avoir
dépassés, cette petite route de campagne au milieu des collines...
Mais au bout d'une heure, au premier croisement, on s'arrête
: au fait, on prends quelle route ?...
Cent kilomètres
depuis Irbit, 400 km au compteur. On commence à fanfaronner,
"Ah, tous ces gens qui nous avaient prédit des tonnes de pannes
dès les premiers kilomètres avec ces motos russes...Ha Ha..."
Quand tout à coup, la poignée d'accélérateur tourne dans le
vide. La patte du câble vient de se dessouder, alors que nous
sommes au milieu de nulle part ! On angoisse un peu... Mais
après un bon sandwich, nous arrivons à repartir grâce à un
bout de cordelette d'escalade, en croisant juste les doigts
pour que cette réparation de fortune ne lâche pas en plein
cour de Tyumen.
Quelques heures plus tard, au petit rythme de rodage de 50
km/h, nous arrivons sous des trombes d'eau devant la "Bibliotéka"
de Tyumen, où nous attend Irina, une journaliste avec qui
nous avions rendez-vous. Elle nous invite chez elle à partager
un bon thé chaud et des blinis à la crème, qu'on apprècie
d'autant plus que la pluie continue de dégringoler dehors.
Avec son fils Maxim, ils habitent un petit appartement confortable
dans une grande tour de béton gris aux allures de blockhaus
: doubles portes blindées, cages d'escalier défoncées, boites
aux lettres éventrées. Dehors, les rues du quartier en terre
ont l'air de sortir d'un bombardement, et avec la pluie, se
sont transformées en un immense champ de boue parsemé de profondes
piscines... Nous restons finalement trois jours chez Irina.
Elle nous fait visiter la ville et quelques églises récemment
rouvertes, nous initie aux pilménis (pâtes fourrées à la viande),
le plat typique sibérien... Alex, son ami, nous chante des
chansons russes avec sa guitare, et nous emmène prendre un
bain de minuit dans des sources chaudes en appréciant une
bière bien fraîche, au son de la techno sortant des voitures...
Et entre temps, Maxim, garagiste, s'est occupé de resouder
notre poignée!
Six à huit
heures de conduite par jour, nos nez commencent à peler à
force de soleil. La route transsibérienne se révèle bien meilleure
que nous le pensions, et les kilomètres se succèdent le long
de cette plaine interminable assez monotone, sur cette 2 voies
toute droite au milieu des champs de foin en pleine moisson,
de nuées de corbeaux, ou de forêts de bouleaux à perte de
vue... Le midi, nous faisons une pause "stolovaya", dans des
sortes de bistrots-cantine au bord des routes. Et l'une de
nos meilleure expérience est aussi la première : après avoir
observé ce que commandaient les autres, pour demander la même
chose (allez lire un menu manuscrit en russe...), nous observons
avec envie la pastèque de nos voisins de table... Qui nous
invitent du coup à la partager, arrosée d'un peu de vodka
bien sûr, pendant que l'on lie conversation : d'où l'on vient,
leurs expériences du mythique lac Baïkal, leurs origines arméniennes,
Charles Aznavour...!
Le soir, au soleil couchant, accompagnés du ronronnement du
moteur, nous suivons notre ombre devenue immense, à la recherche
d'un coin pour cacher notre tente dans les bois. Ni feu, ni
lampe, les premiers temps nous sommes à l'affût du moindre
bruit : ce sont peut être des bandits russes qui veulent nous
tuer ou nous dévaliser... Pour nous rendre compte assez rapidement
que ce qui intéresse surtout les paysans que nous croisons
parfois le matin, ce sont les champignons !
30 Août
En arrivant
à Novossibirsk, nous commençons à prendre la mesure de l'immensité
de ce pays. Tant à voir, et seulement 3 mois de visa ! Plus
des amis à rencontrer mi-septembre à Irkutsk, près du Baïkal...
Nous faisons une croix sur la Mongolie. En revanche, on décide
de s'offrir un petit "détour" - d'environ 2000 kilomètres
- dans le massif de l'Altay, assez peu connu, mais visiblement
magnifique.
A partir de Barnaul, le paysage change soudain. Le relief
se met à onduler, et la petite route tortille entre des collines
le long de la Katun, cette rivière d'un vert d'eau incroyable
qui descend directement des glaciers. Les villages eux mêmes
ont un parfum différent, des maisons proprettes et fraîchement
repeintes, les femmes sont regroupées toutes ensembles sur
la place pour vendre leur miel ou légumes, avec un air engageant...
Juste avant d'entrer dans la République d'Altay, la pluie
nous garde 3 jours sous la tente. Tout le temps d'attraper
un bon mal de gorge, de faire une lessive et de se laver dans
l'eau glaciale de la Katun... Mais aussi de finir toutes nos
provisions : notre dernier repas, du riz sucré aux raisins,
signale qu'il est temps de bouger !!
Le lendemain, nous nous retrouvons en train de tracter le
side-car "IJ" d'un gentil papy sur un pont de bois archaïque
au dessus de la Katun ! Du coup, il nous invite à passer la
nuit chez lui. Lui et sa femme vivent de peu de chose, dans
une maison traditionnelle en bois blanchie à la chaux, 2 pièces
éclairées par une unique ampoule, un gros poêle en brique
rouge... en fait de toilettes, c'est un cabanon au fond du
jardin, avec des carrés de papier journal accrochés par un
morceau de fil de fer. Tous les plats qu'ils partagent avec
nous, confitures, tisanes, salades ou soupes, viennent de
leur jardin ou de la forêt... On se sent privilégiés d'être
là . En repartant, nous continuons plein sud, en plein dans
le massif de l'Altay. Et plus nous nous y enfonçons, plus
nous nous régalons : les collines qui se transforment en montagnes,
des cols ventés et arides, des troupeaux de chevaux sauvages,
et toujours cette Katun verte translucide au fond de la vallée.
Le ciel est désormais d'un bleu immense, et la lumière d'automne
accentue encore la beauté de l'endroit.
A environ
mi-chemin de la frontière Mongole, nous faisons une pause
en haut d'un col, pour se remplir les yeux de ces paysages,
et laisser le moteur refroidir un peu. Cela ne ressemble définitivement
plus à la Sibérie, dans les buissons derrière nous des bandelettes
de tissu volent au vent, dans les voitures qui passent, les
visages ronds ont les yeux bridés... C'est à ce col que nous
faisons une de ces rencontres un peu magiques et rares, avec
le "Barnaul Moto Kloub", une poignée de motards locaux qui
s'organisent des balades. Pour nous, ils ressemblent un peu
à des extra-terrestres, avec leurs allures de Mad Max. Alors
que nous sommes parfaitement équipés, sacs étanches, vestes
imper-respirantes, eux ont du papier-journal sous leurs blousons,
et des sacs en plastique pour garder leurs affaires au sec.
Mais cela en fait n'a aucune importance, nous ressentons tous
autant le même plaisir à voyager à moto en bonne compagnie,
et nous restons au moins une heure à discuter dans la lumière
du soleil couchant.
En arrivant à Kosh-Agash, à seulement 40 kilomètres de la
frontière Mongole, nous sommes comme fous : un endroit comme
ça, il faudrait pouvoir y passer une semaine, ou un mois !
Nous sommes au cour d'un immense plateau lunaire semi-désertique,
entouré d'une couronne de montagnes et de glaciers. Et avec
la Mongolie si proche !!
Après une nuit à la belle étoile à regarder les étoiles filantes,
nous faisons le tour du petit village de Kosh-Agash à l'ambiance
un peu surréelle, toujours aussi fous de ne pas avoir le temps
d'aller plus loin, penchés sur la carte, s'imaginant passer
la frontière sans visa... Peut être qu'ils nous prendraient
pour des russes...! Mais nous restons réalistes, et faisons
demi-tour l'âme en peine, nous consolant de cette certitude,
nous reviendrons !!
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