En France,
de l'Alaska, on en a rêvé souvent, mais sans jamais trop oser
croire qu'on irait vraiment un jour. Neiges lointaines et
inaccessibles, là bas, tout en haut du monde. Mais à Vancouver,
tout d'un coup, on avait l'impression d'être à deux pas. Ralentis
par diverses babioles, un moteur cassé, une immatriculation
française du side qui a pris des mois, des finances un peu
raplapla. l'Alaska restait quand même notre objectif majeur:
Notre motivation et notre cri de ralliement lors des jours
gris.
8 juillet 2001
En route vers Valdez, l'excitation qui nous avait gagnée
au passage de la frontière retombe un peu après une semaine
de pluie ininterrompue. Trois jours arc-boutés sous la tente,
et il pleut toujours. Un orignal est venu brouter quelques
herbes à deux pas de la tente, il a été aussi surpris que
laurent de la rencontre. Mais il faut quand même bien repartir,
alors on ressort toute la panoplie, combinaison de pluie,
sur-bottes en caoutchouc et cirés, et en avant !
La moto non plus n'a pas l'air d'apprécier le climat, elle
fait de plus en plus de ratés. Les derniers kilomètres avant
d'atteindre enfin Valdez sont un véritable cauchemar, forcés
de s'arrêter tous les kilomètres sous cette pluie battante,
sans arriver à mettre le doigt sur le problème de " Madame
" ...
Paradis de l'héliski, dont le nom nous a longtemps fait
rêver dans les vidéos de snowboard, Valdez est une petite
ville faite de maisons en bois cubiques aux couleurs passées,
encerclée par des montagnes drues. De l'autre coté de la
baie, le terminal du pipeline acheminant le pétrole des
forages nordiques rappelle brièvement l'autre raison de
la célébrité de Valdez, l'Exxon Valdez. Mais en ce joli
jour d'été, maintenant que le soleil pointe enfin son nez,
nous apprécions surtout la quiétude du petit port, ou de
passer de bons moments avec Rob et Marsha, un couple de
néerlandais avec qui quelques heures ont suffi à sympathiser,
après plusieurs semaines sans avoir vraiment rencontré personne
à part pompistes ou caissières de supérettes.
Des pêcheurs auprès de qui nous avons commencé à nous renseigner
pour travailler sur un bateau de pêche, car bientôt il va
nous falloir retravailler et beaucoup nous ont parlé de
salaires fabuleux assortie d'une pénurie de travailleurs
dans ce secteur, nous conseillent d'aller voir plutôt du
coté de Homer, dans la péninsule de Kenaï. Adieu donc Valdez,
et adieu aussi à ce fichu ours noir, qui en venant roder
silencieusement autour de notre tente une nuit, nous a fait
la peur de notre vie ! Nous repartons en suivant de loin
le pipeline, et dans un brouillard épais et humide, repassons
en sens inverse le col Thompson qui, du haut d'une chaîne
de montagnes verticales et de glaciers, sépare l'océan et
Valdez de larges vallées peuplées de pins malingres et difformes
luttant pour survivre dans ce climat rigoureux. Sans s'attarder,
nous traversons Anchorage, la plus grosse ville d'Alaska,
et poursuivons notre route le long de la sublime "Seward
highway", qui longe une baie sableuse aux allures de Mont
St Michel enchâssée dans des montagnes basses. En pénétrant
dans la péninsule de Kenaï nous sommes tous excités de reconnaître
quelques signes du passage russe en Alaska : la rue "russian
beach", une église orthodoxe, ou encore les noms évocateurs
de Ninilchik ou Kasilof... Kasilof où, histoire de tâter
de l'ambiance, nous poussons la porte d'une conserverie
de saumon qui a posé un gros panneau "Help wanted" sur le
bas coté de la route. Et là, pim-pam-poum, le patron est
prêt à nous embaucher sur le champ, il nous donne même des
casquettes, première partie de nos uniformes de travail....
Jusqu'à ce qu'on arrive à placer que nous n'avons pas de
visa de travail. Mais c'est sans regret. Ce n'est pas de
vider du poisson 14 heures par jour que nous rêvons, mais
d'océan, de vent salé, et de mains calleuses à force de
remonter des filets chargés de poissons luisants...
Le lendemain, le panneau "bienvenue à Homer" nous accueille
sous le signe du Halibut, le monstrueux flétan dont Homer
se flatte d'être la " capitale mondiale ", alors qu'une
vue paradisiaque se déroule sous nos yeux. Lové au milieu
de la baie de Kachemak, faisant face à des montagnettes
escarpées dont descendent deux langues de glaciers bleutés,
Homer est une petite communauté posée en pente douce jusqu'à
la mer, et qui se prolonge encore le long du "spit", une
bande de terre qui s'avance dans la baie et constitue paradoxalement
le point névralgique de Homer, avec son port, ses séries
de boutiques pittoresques destinées au flots de touristes,
mais aussi ses bars historiques comme le "Salty Dawg", refuge
des vieux loups de mer ou de tous ceux qui veulent célébrer
une bonne pêche. Mais quant à trouver un bateau qui nous
embauche, à première vue ça n'a pas l'air si facile ici
non plus. Du coup, nous partons nous balader sur la route
qui continue en cul de sac vers l'est, et tombons par hasard
sur une scierie. Et pourquoi pas . ? Laurent s'avance vers
les quatre gars barbus aux cheveux et aux chemises délavés,
avachis sur des troncs au milieu de monceaux de copeaux
d 'écorce, comme morts de fatigue. Et quelques minutes plus
tard, Bingo, nous commençons à travailler demain, un chalet
à construire ! La pêche, ce sera pour une prochaine fois...
Nous commençons donc à travailler avec Doug et J.D. sur
ce chalet, construit selon une méthode typiquement alaskane,
un empilage de rondins plats sur trois faces, qui a l'avantage
d'être vraiment rapide, pour un rendu rustique qui nous
plaît tellement qu'on prend des notes : On se verrait bien
se construire le notre en rentrant. Nous posons notre campement
à "Seaside farm", un camping à la ferme qui doit avoir l'une
des plus jolies vues du monde. Les parents de Mossy, la
propriétaires, faisaient partie des tous premiers pionniers
de la région, du temps où la seule route qui menait à Homer
n'était qu'une grossière piste forestière. Nous passons
du bon temps au camping en compagnie de David, forestier-pédologue
en permission de son chantier dans le bush et grand fan
de crêpes, ou de Forest le rouquin toujours inséparable
de ses bottes en caoutchouc et qui nous approvisionne en
Halibut frais... On apprécie de ne pas avoir à chercher
un campement ou plier et déplier la tente tous les jours,
ni de se soucier des ours : Pas de questions à se poser.
Au final, travailler, pour nous, c'est comme des vacances
!